mardi 7 décembre 2010

Tristes élections.

Les récents évènements autour de l'élection présidentielle en Côte-d'Ivoire ne peuvent que nous conduire à nous interroger sur la valeur et sur l'avenir du processus électoral dans le monde contemporain. Il est vrai que les difficultés se rencontrent surtout au sein des pays dit « en voie de développement » comme c'est, par exemple, aussi le cas actuellement en Haïti où l'élection présidentielle est entachée de fraudes multiples, ou encore en Egypte où l'emprise du Président Moubarak vient contrer l'expression libre de la démocratie... On ne peut, non plus, oublier la désignation du successeur du Président Omar Bongo au Gabon, ni celle du Président Kabila au Zaïre, ni les rumeurs qui circulent sur la succession du Président du Sénégal ou du Président de la Corée du nord... On pourrait allonger cette liste sans difficulté en considérant d'autres continents.

Cependant, il ne faudrait pas croire que ces maux affectent les seuls pays en développement. Les pays les plus riches rencontrent, eux aussi, des embûches sur le chemin de l'expression démocratique. Par exemple, les taux d'abstention, importants et répétitifs, qui apparaissent au moment des élections en constituent un témoignage (voir chronique du lundi 15 mars 2010 dans ce même blogue). En outre, même lorsque les électeurs prennent la peine de se déplacer en nombre suffisant, il est fréquent de constater, au bout du processus, que les parties en présence ne sont souvent différentiées que par des pourcentages de voix infimes. Tout se passe comme si, les choix de l'électorat se répartissaient quasi uniformément entre les partis ou les candidats en lice... Ainsi, même lorsque le processus fonctionne et qu'il n'est pas affecté par des perturbations (fraudes d'origines diverses, désintéressement,...), le résultat n'apparait guère probant.

Tout se passe donc comme si le processus électoral traversait actuellement une crise grave qui pourrait, si l'on n'y prend garde, le mener dans une impasse définitive et, à terme, le condamner. Il y a là une perspective extrêmement inquiétante sur laquelle les analystes politiques de tous bords devraient se pencher avec attention. En effet, faute de perspectives, la situation pourrait s'aggraver et déboucher sur une violence incontrôlable comme cela se passe, d'ailleurs, déjà dans certains pays...

On peut, certes, intervenir en agissant sur les causes multi factorielles de cette situation : la corruption, les promesses non tenues des candidats, la multiplicité des scrutins, le manque de leaders charismatiques, la disparition des idéologies, l'absence de grands projets, la sur information,... mais, même si cette action ne peut qu'être positive, elle risque de ne pas être suffisante pour enrayer le phénomène. Il importe aujourd'hui de réfléchir à des moyens d'intervenir directement sur le processus de consultation des citoyens afin de lui redonner de l'intérêt, de lui redonner vie... Il faut, à mon avis, être innovant pour être crédible. Il ne s'agit plus de colmater des brèches mais bien de reconstruire un dispositif électoral sain et vivant. Un processus susceptible de rassembler un maximum d'électeurs et capable de retrouver du sens auprès des citoyens de façon à diminuer les taux d'abstention et à éviter, le plus possible, la contestation post électorale. Il faut motiver l'électorat, le rassurer et lui redonner confiance dans le processus de consultation... Les technologies de l'information et de la communication (TIC) me semblent toutes désignées pour aider à atteindre ces objectifs.

Avec ces technologies, en effet, il devient facile de s'exprimer : un simple « clic » permet de voter, parfois sans même à avoir à quitter son domicile. Elles permettent, en outre, que les participants puissent se compter facilement et puissent, ainsi, évaluer le niveau de partage de leurs choix. Des dispositifs adaptés peuvent permettre aux participants de voir, en temps réel, évoluer les résultats de la consultation. Cette façon de procéder pourrait, d'ailleurs, contribuer à créer une émulation, favorable à la participation au processus, au sein de la population. Le caractère moderne, direct et instantané de ce type de consultation électronique aurait, en outre, l'effet de rendre l'opération plus attractive tout en rassurant les citoyens quand au sérieux de la consultation... Il faudrait aussi s'assurer que le contrôle du processus électronique demeure bien, lui aussi, démocratique et soit aux mains des représentants choisis par les citoyens. Internet serait ainsi définitivement confirmé dans son rôle au profit d'une démocratie moderne.

Deux exemples récents pris au Québec :

- En décembre 2010, une pétition électronique exigeant du gouvernement libéral la mise en place d'une commission d'enquête publique sur l'industrie de la construction, a reçue plus de 18000 signatures en 18 jours !
- En fin d'année 2010, une pétition placée sur le site Web de l'Assemblée nationale, demandant la démission du Premier ministre du Gouvernement du Québec, collecte plus de 240 000 signatures par voie électronique en un temps record...

Plus encore que la rapidité de l'expression des citoyens québécois, ce qui me semble remarquable, dans ce dernier cas notamment, c'est que ces faits se sont produits alors même que l'apathie semblait gagner l'ensemble des citoyens et que aucune manifestation publique ne venait exprimer le mécontentement profond des québécois face à la corruption et à l'inaction du Gouvernement...

Dès lors, on peut se demander pourquoi ne généralise t-on pas ce mode de consultation des citoyens qui semble bien adapté au mode de vie actuel ? Existerait-il une sorte de « conspiration du silence » qui viserait à empêcher l'extension de ce mode de consultation des citoyens ?

On pourra toujours objecter que ce mode d'expression démocratique ne saurait convenir aux pays en développement, compte tenu de l'état embryonnaire du réseau Internet dans ces pays. Cet argument est recevable, mais ne me paraît pas de nature à condamner l'évolution des choses. En effet, il suffit de penser, par exemple, à la rapidité qui a prévalue dans la mise en place du téléphone portable dans ces pays. D'emblée, ce mode de communication a dépassé, en nombre d'appareils utilisés, celui des postes fixes dont l'emploi avait pourtant précédé celui des téléphones portables dans la plupart des pays riches. Il serait assez facile de rendre le réseau Internet accessible à la majorité des populations si la volonté politique s'en faisait le relais. En rendant plus attractif et plus crédible le processus de consultation, les citoyens de ces pays pourraient, eux aussi, être rassurés et, par voie de conséquence, moins contester, a posteriori, les résultats de ces opérations... Il y aurait là également un moyen de diminuer les éventuelles pressions exercées sur les participants au moment où ils se rendent dans les bureaux pour exercer leur droit de vote. Bien entendu, il ne faudrait pas penser que la démocratie pourrait s'installer dans ces pays simplement en faisant appel à ce type d'interrogation des citoyens. Cette façon de faire ne serait qu'un appui à la démocratisation de ces sociétés, une voie qui serait à même de faciliter celle-ci à la condition que la volonté politique se fasse l'écho de ce désir.

Pour peu que l'on s'en donne les moyens, le vote électronique rassemble plusieurs avantages : modernité, facilité d'emploi, rapidité d'exploitation, fiabilité des résultats, contrôle accéléré des résultats... De plus, les réseaux sociaux électroniques (Facebook, Twitter,...) permettent aujourd'hui, une concertation efficace entre les citoyens de nature à faciliter le contrôle indirect de l'expression démocratique. En effet, si un résultat annoncé est en contradiction avec la réalité des choix des citoyens, ce hiatus apparaitra immédiatement au travers des réseaux sociaux. Peut être qu'alors, le triste spectacle de consultations électorales délaissées, contestées, critiquées deviendra plus rare...

5 commentaires:

  1. On pourrait objecter à un système de vote par internet la difficulté du contrôle des identités, et la facilité à organiser des fraudes électroniques de grande envergure pour quiconque possède les outils du pouvoir et les connaissances techniques pertinentes.

    La surveillance de l'Internet par des oreilles gouvernementales, secrètes la plupart du temps, est aujourd'hui ...bien connue, mais on n'en connaît pas les arcanes.

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  2. (Suite de mon commentaire)

    Quant à la possibilité de «suivre l'évolution d'un vote en temps réel», c'est très objectable si on pense à ce que les sociologues appellent le «band wagon effect», soit la propension de tout un chacun à vouloir se joindre à la masse (cf. «Masse et puissance» de E. Canetti).

    On voit ça aux USA, où les résultats des élections dans les états de l'est sont immédiatement transférés aux états de l'ouest où les bureaux de vote sont encore ouverts pendant plusieurs heures. On sait que le système démocratique étasunien est vraiment en état de crise, et pas seulement sur ce point de détail.

    Les organisateurs des partis politiques utilisent cette propension à joindre la masse depuis des générations pour influencer le vote.

    Faux sondages, fausses rumeurs transmises par des canaux occultes, dont les résultats sont biaisés pour dire aux gens «tout le monde le fait, faites-le donc»...

    À cet égard, une anecdote. Lors du référendum québécois de 1995, tous les sondages donnaient un résultat plus que serré, du nez à nez, ce qui se produisit.

    Tous les sondages sauf un, publié le samedi avant la consultation du lundi suivant: celui du Journal montréalais «The Gazette» qui indiquait un maigre 27% de oui... Pour un journal de combat, une arme de combat...
    (à suivre)

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  3. (suite à la suite)

    Enfin, dernière remarque. On pourrait penser impliquer la population dans tous les grands projets gouvernementaux par des consultations populaires par Internet. Par exemple pour décider des éléments, ou de la globalité des budgets selon le vote... Ouille! quel dégât contre la démocratie. Ce serait horrible!

    L'idée fondamentale derrière un parlement de représentants, un gouvernement représentatif, est que les citoyens élisent des représentants chargés de penser pour eux, d'évaluer grâce à leur présence au centre de l'action, le «Salon de la race» comme on surnomme l'Assemblée Nationale du Québec (un salon, c'est bien ça), ce qu'il faut ou conviendrait de faire; ils opèrent sous les 'yeux' d'Argus des journalistes, qui surveillent et relaient la situation aux citoyens, chacun à leur façon, mais autant d'yeux, autant de visions qui finissent par mieux faire voir ce qui se passe.

    Ces représentants sont aussi associés à des partis politiques qui ont des lignes de pensée, on élit autant des partis politiques que des personnes. Normalement, ces représentants doivent voter selon les lignes de leur parti, sauf quand leur conscience (et non leur porte-feuille, dont ils sont présumés indépendants) les transforment en objecteurs démocratiques, et qu'ils deviennent indépendants --leur action sera jugée en temps opportuns dans des élections assez rapprochées pour éviter les grands dérapages démocratiques, mais pas trop rapprochées tout de même, «il faut laisser le temps au temps» (Michel Rocard).

    Il ne faut surtout pas songer le moindrement à les remplacer par une démocratie directe, constituée par une masse qu'il faut bien appeler d'ignorants. Implicitement, dans nos démocraties on se juge tous un peu trop ignorants, et on s'en console, si on peut dire, en élisant des spécialistes, enfin on le présume, de la gouvernance.

    Rappelons à cet égard que le préfixe grec 'démos' fait référence au peuple ou plus exactement à la populace, et que le terme démocratie, 'gouvernement par la populace' n'y était pas exactement bien vu.
    Un Platon considérait qu'il fallait éviter toute démocratie pour donner le pouvoir au Philosophe (ouille!), soit la dictature éclairée... -ouille encore!

    «La démocratie est le pire de tous les systèmes de gouvernement à l'exception de tous les autres», aurait dit Churchill.

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  4. Réponse à Louis-Marc :
    Il ne s'agit pas de remplacer le Parlement par le suffrage électronique mais seulement d'utiliser Internet pour faciliter la prise en compte de l'avis des citoyens par le Parlement notamment.
    Quand aux risques de dévoiement qui sont évoqués, ils sont réels mais ils peuvent être atténués par des mesures adéquates. Après tout il n'y a aucun système de parfait, y compris la démocratie et le processus électoral actuel....

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  5. Baba rajoute :
    Un article intitulé "La nouvelle fracture numérique" paru dans le Journal Le Monde du 7 décembre 2010 et signé par Milad Doueihi, professeur à l'Université Laval (Canada-Québec) indique que "L'affaire WikiLeaks n'est que l'indication, certes significative, d'une possible fracture numérique en train de s'installer entre les politiques et les citoyens et que seule une véritable prise en compte des réalités et des potentiels de l'environnement numérique peut éviter."
    Je partage totalement ce point de vue.

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