lundi 29 novembre 2010

A propos du livre « Haïti- Kenbe la! »

Le dernier livre de Rodney Saint-Eloi, intitulé "Haïti kimbe la!" (Editions Michel Lafon, Neuilly-sur-Seine (France), 2010), se veut une relation de l'expérience vécue par l'auteur lors du séisme qui a frappé Haïti le 12 janvier 2010. Effectivement, on y découvre comment il a pu échapper à la mort grâce à ce que l'on pourrait qualifier de hasard ou de chance. Comment son ami, Dany Laferrière, en l'invitant a diner, a contribué à lui sauver la vie.... On peut aussi, par cette lecture, ressentir toute la souffrance des Haïtiens meurtris dans leur chair par ce drame qui n'a épargné personne mais qui a, une fois de plus, décimé surtout les plus pauvres d'entre eux.... Le livre nous fait vivre, presque minute par minute, l'existence de la population de Port-au-Prince dans sa lutte quotidienne pour sa survie. L'auteur évoque aussi, mais a mon avis, sans vraiment apporter d'éléments nouveaux, les causes des malheurs actuels de la République de Haïti. Son histoire mouvementée et par bien des côtés, dramatique. La colonisation française puis « états-uniène » est rappelée, ainsi que l'incapacité des dirigeants haïtiens à assurer le développement du pays...

Ce qui me touche plus particulièrement dans cet ouvrage est le style de l'auteur, souvent, poétique et même lyrique. Un lyrisme que l'on retrouve, d'ailleurs, dans la belle préface de l'écrivain algérien, Yasmina Khadra chantant la fraternité des écrivains issus des peuples «damnés de la Terre». L'écriture est fluide et le texte se lit de façon continue sans accroc, un peu comme une longue prière adressée aux dieux protecteurs.... La narration est d'une structure simple et, personnellement, j'ai lu cet ouvrage avec plaisir et en très peu de temps. Un des intérêts majeur du livre est, à mon avis, lié à tout ce que l'on apprend sur la vie de l'auteur.

J'ai eu l'occasion de rencontrer Rodney à plusieurs reprises depuis que je réside à Montréal et, bien que nos origines créoles, aient contribuées à nous rapprocher, je ne le connaissais que superficiellement. Ce livre m'a permis de mieux cerner son histoire personnelle, celle de sa famille proche, ses amitiés souvent fortes et passionnelles... J'ai ressenti au travers de ce texte toute la créolité du personnage, son attachement profond à son île et son déchirement d'exilé, sentiment bien connu de nombreux caribéens dont la vie se partage entre leur île et leur pays d'accueil. Comme, il l'écrit lui-même, il espère "que ce livre fera taire en lui les fureurs du goudou-goudou" (terme imagé, utilisé par les Haïtiens pour désigner le séisme).

A l'heure où Haïti vote, afin d'élire un nouveau Président et une assemblée nationale renouvelée, cet ouvrage prend tout son sens en faisant percevoir au lecteur l'immensité de la tâche qui reste à accomplir, alors que pratiquement plus rien ne fonctionne normalement, que plus de 80% des cadres sont à l'extérieur, que les familles sont presque toutes dans le deuil, que l'épidémie de choléra frappe, que la classe politique est paralysée, que la corruption règne et que la misère frappe une très grande partie du peuple...

Cependant, Rodney Saint-Eloi n'oublie pas que la culture est un atout maître pour le peuple haïtien et il s'appuie, pour cela, sur l'exemplarité de l'écrivain Franketienne qui : "écrit. Il monte des pièces de théâtre qu'il joue. Il chante. Il peint. Il attend le prix Nobel. Dans cette effervescence, il reconstruit sa maison. Un sacré rappel à l'ordre...."

Voilà un ouvrage d'une actualité brulante, d'une lecture facile et agréable que devrait lire tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à Haïti.

samedi 27 novembre 2010

A propos du "Manifeste d'un sur-taxé"

Je viens de terminer la lecture du pamphlet intitulé "Manifeste d'un surtaxé", rédigé par Robert Deschamps et publié aux Editions « Carte blanche » (Montréal, 2010). Même si cet essai contient certaines affirmations qui semblent véridiques, on ne peut qu'être frappé par son caractère outrancier et extrémiste.
L'auteur, en effet, rejette en bloc tout ce qui constitue le Québec contemporain : ses gouvernements et la politique menée, tant par le Parti québécois que par le Parti Libéral; sa classe politique, accusée de n'avoir "aucun intérêt à modifier ses pratiques d'extorsion fiscale, ses promesses de gratuité irréelle et ses programmes de redistribution d'une richesse qu'elle n'a pas produite"; son système éducatif, "qui n'a pas la moindre chance de rendre les québécois avisés et performants dans le domaine économique"; son système de santé, "étatisé" ; "son système social qui cautionne la médiocrité, la fainéantise et l'hédonisme parasitaire" ; le peuple québécois, lui-même, est qualifié "de frivole et fanfaron qui ne voit dans l'économie qu'un énorme coffre au trésor à piller" ; le monde de la culture, devenu une "féodalité coûteuse..." .

Le style utilisé, agressif et prétentieux, ne fait que renforcer le malaise que l'on éprouve à lire ce texte. D'une façon plus générale, l'argumentaire de l'auteur est centré sur la lutte contre les "improductifs" qui sapent la société québécoise dans tous ses fondements. La solution préconisée est simple (et sans doute simpliste) : confier le pouvoir absolu aux entrepreneurs. Les pôles d'interventions suggérés par l'auteur tiennent en quatre points :
- "intensifier la valorisation des productifs";
- "intensifier le discours critique à l'endroit des improductifs";
- "concurrencer l'Etat sur tous les plans";
- "infléchir pédagogiquement la productivité".

Cet ouvrage est, en fait, une ode à l'individualisme et aux entreprises privées par opposition au service public. Une difficulté vient du fait que l'auteur mélange des faits réels indéniables avec des positions extrêmes difficilement crédibles. Un seul exemple : s'il est partiellement vrai, comme l'écrit l'auteur, que "les organisations qui produisent l'abondance matérielle sont mises sur pied par des individus particuliers, visionnaires, déterminés, audacieux, superbement organisés et efficaces, dont le nombre au sein d'une nation, demeure restreint et invariable,.." peut-on aller jusqu'à en déduire, comme le fait R. Deschamps que : "il existe, au sein de l'Humanité, une hiérarchie naturelle en vertu de laquelle la valeur d'un individu se trouve déterminée par l'absolue nécessité de sa présence dans le processus de la production des biens et services. Ainsi, en haut de l'échelle, il y a les fondateurs d'entreprises... Au second rang, viennent les chercheurs et les inventeurs... En troisième position, se trouvent les professeurs... En quatrième place, on retrouve les gestionnaire... Cinquièmement, entrent en jeu les praticiens professionnels... Enfin, au dernier échelon, s'alignent les ouvriers de toute nature...." ?

Il est certain que l'appel au privé ne doit pas être négligé dans une société moderne. C'est, en effet, une façon de décupler les ressources disponibles au service d'un projet. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que, tant le privé que le service public, sont en synergie permanente et que c'est souvent la compétition entre ces deux types de service qui fait progresser la situation. Il s'agit, en réalité, de deux approches qui sont complémentaires et nécessaires. D'ailleurs, on observe, souvent, que les progrès de l'un entrainent l'évolution positive de l'autre... Il ne faut pas non plus croire que l'absence totale de services publics puisse être considérée comme une solution fiable aux problèmes sociaux. L'Etat, au travers des services publics et de son administration, vient apporter une régulation dans le fonctionnement de la société. Cette action se réalise, le plus souvent, au profit des éléments les plus faibles de la société qui risqueraient, autrement, d'être laminés et abandonnés. L'absence d'intervention de l'Etat deviendrait contre-productive, car la création de pauvreté va souvent de pair avec l'apparition de délinquances de toutes sortes... Les mieux nantis profitent, eux aussi, de l'intervention étatique en leur permettant, par exemple, de mieux protéger leur patrimoine ou leurs acquis.

Une société, une nation, quelle qu'elle soit, a besoin de grands projets pour avancer. Souvenons nous du président des Etats-unis d'Amérique, JF Kennedy, qui, dans les années 1960, proposa à son pays le programme dit "Nouvelle frontière" avec pour objectifs la détente avec l'URSS, l'envoi d'un homme sur la lune, l'égalité des noirs et des blancs, la relance de l'économie, la lutte contre la pègre et l'arrêt de l'expansion communiste dans le monde. Il en fût de même en France, avec le général De Gaulle qui, à partir de sa prise de fonction comme président de la République française en 1959, engagea son pays dans un difficile programme de revitalisation basé sur la création du nouveau franc, sur le refus de la domination des Etats-unis d'Amérique et de l'URSS, sur l'indépendance de la France et de sa force de frappe nucléaire, sur la création d'un programme spatial, sur la mise en place de la Communauté économique européenne... Au Québec aussi, les années 60 voient le début de la "Révolution tranquille" caractérisée par une réorientation de l'Etat québécois qui adopte les principes de l'Etat-providence, la séparation de l'église et de l'Etat et la construction d'une nouvelle identité québécoise différente de la référence au canadien-français.

Aujourd'hui, nombre de sociétés, notamment en occident, semblent bloquées, comme parvenues à un état de développement qu'elles ont du mal à dépasser, à modifier. Pourtant, la plupart des données environnementales et socio-économiques poussent aux changements. La fin programmée des ressources énergétiques traditionnelles (pétrole, uranium,...), le réchauffement climatique, la pollution atmosphérique, terrestre et maritime, la croissance forte de la population mondiale et la crainte du manque de ressources alimentaires, le creusement généralisé des inégalités entre riches et pauvres, la généralisation de l'abstention dans les processus électoraux, les crises financières à répétition, la perte de confiance dans la classe politique, ... tout cela constitue une incitation forte au changement, à la réorientation des politiques.

Il devient urgent de proposer de nouveaux grands projets aux citoyens, de « nouvelles frontières » à conquérir, de nouveau rêves... Dans cette perspective, il m'apparaît que la proposition du "Manifeste" de Robert Deschamps de faire du Québec une "terre de performance véritable", à partir de la glorification de la productivité et de l'individualisme, n'est pas à la hauteur du défi. La création, suggérée par l'auteur, d'une catégorisation naturelle des individus en fonction de leur propension à être productif ne peut faire rêver personne et pourrait tout au plus donner des frissons de peur à certains... Le rêve, pour le Québec, de constituer un jour un pays semble actuellement écorné mais il pourrait cependant, renaître s'il était proposé de façon nouvelle, de façon plus dynamique qu'à partir du sempiternel référendum préalable... La langue française, qui semble en perdition aujourd'hui, serait susceptible d'être porteuse d'un grand projet qui dépasserait les frontières du Québec, une alliance des francophones d'Amérique, des Amériques, qui inclurait l'Amérique du nord, l'Amérique centrale, l'Amérique du sud, la Caraïbe et, bien entendu, les canadiens francophones hors du Québec. Travailler en français, se cultiver en français, se distraire en français pourrait être motivant au sein de cette alliance. Mieux encore, montrer au monde que l'égalité des langues peut être vécue de façon sereine et réelle en prônant un plurilinguisme actif et concret, c'est à dire reposant sur une politique linguistique adéquate au sein du système éducatif, serait aussi un des objectifs de ce grand projet dont le Québec pourrait devenir le leader. Il serait, d'ailleurs, possible de profiter du côté multiculturel affirmé de la métropole montréalaise pour atteindre cet objectif. Se donner des perspectives de réduction des inégalités entre le Nord et le Sud, entre les riches et les pauvres; redonner du sens aux valeurs humanistes, bâtir une société québécoise moins matérialiste, plus solidaire, plus harmonieuse; contribuer à l'utilisation de nouvelles sources d'énergie moins polluantes, plus durables... sont des perspectives qui peuvent capter les énergies et les rêves de la jeunesse...

dimanche 21 novembre 2010

L'incohérence en politique

Dans la plupart des « démocraties occidentales », les responsables politiques paraissent s'être placés eux-mêmes dans une impasse quant à leur crédibilité auprès de l'électorat. Celle-ci, et c'est bien connu aujourd'hui, se trouve au plus bas dans la plupart des pays occidentaux. Les causes de cette perte de confiance des électeurs sont multiples : la corruption et les « affaires » bien entendu, mais aussi, une certaine impuissance à améliorer la situation, à régler les problèmes des citoyens. Enfin, la déception de l'électorat face à des promesses toujours présentes mais rarement tenues... Généralement, la cause première de cette situation se trouve dans les positions incohérentes, presque masochistes, des décideurs politiques qui, après s'être privés des moyens d'agir ou même après avoir détruit ce qui fonctionnait, tentent de rétablir les choses...Voici trois exemples de cet état de fait :

Le chômage des jeunes en France : les gouvernements se succèdent, passant de la gauche à la droite ou réciproquement, les bonne intentions des responsables politiques s'affichent régulièrement et pourtant, malgré un effort financier le plus important des pays de l'OCDE, le taux de chômage des jeunes en France reste le double de la moyenne nationale, 20,7% pour l'année 2000, contre 11,8% pour l'ensemble des pays de l'OCDE. En février 2010, soit 10 ans plus tard, ce taux en France est encore de 25%... Ce phénomène est loin d'être limité à la France, il touche beaucoup de pays. "Le chômage des jeunes dans le monde a atteint le plus haut niveau jamais enregistré et devrait encore augmenter en 2010", a précisé le BIT dans un rapport sur l'emploi des jeunes. Le taux de chômeurs est passé de 11,9 % en 2007 à 13 % l'année dernière. Il devrait progresser légèrement à 13,1 % en 2010 avant de retomber à 12,7 % l'année suivante, selon les projections de l'organisation.
Les raisons de cet échec sont multiples même si on sait, aujourd'hui, que le chômage des jeunes amplifie les fluctuations de la conjoncture économique. Toutes les études le montrent, le diplôme est encore la meilleure protection contre le chômage, mais les phases de raréfaction de l'embauche conduisent à une déqualification des emplois, les plus diplômés acceptant des postes occupés, dans les phases de haute conjoncture, par des diplômés de niveaux intermédiaires ; en fin de chaîne ce sont les moins qualifiés qui pâtissent le plus de la basse conjoncture.
Si l'on considère la question de la formation des jeunes et de leurs qualifications, qui interviennent aussi dans leur avenir professionnel, on retrouve un schéma voisin de celui décrit ci-dessus. En effet, les responsables politiques, pourtant conscients de l'importance de la formation en matière d'emploi, n'ont pas réussi au cours des années, à faire croître le taux de diplômés d'une classe d'âge donnée. En 1970, la France par exemple, avait un pourcentage de diplômés de l'enseignement supérieur inférieur à la moyenne de l'OCDE. Aujourd'hui, c'est toujours le cas pour les diplômes de l'enseignement supérieur long : 24% contre 27% pour l'OCDE et 33% pour l'Europe. Une particularité de la France est le faible taux de scolarisation des 20-29 ans et surtout le fait que ce taux n'ait pas augmenté depuis 1995...
Or, si l'embauche, toutes catégories de la population et tous pays confondus, diminue c'est en grande partie à cause des délocalisation des emplois que permet la mondialisation libérale, par ailleurs tant vantée et soutenue par les responsables politiques. Les pays capitalistes développés et leur instrument, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), poussent au démantèlement général des barrières douanières. Celui-ci est déjà très avancé pour l’industrie. L’agriculture est encore un sujet de conflits (pour des raisons de compromis sociaux, l’Europe et les USA ont chacun des systèmes de protection et de subvention de leur agriculture). Les services constituent un chantier hétérogène et conflictuel (nouveau champ de profit, tentatives de remise en cause des services publics). La mondialisation de la finance est la modalité la plus avancée de la mondialisation, même si ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’on est en présence d’un rôle important des marchés financiers (fin XIX°). La plupart des pays du monde ont aujourd'hui libéré les entrées et sorties de capitaux, dont les mouvements internationaux augmentent et s’accélèrent. Tous ces développements sont organisés, soutenus et valorisés par les politiciens au pouvoir dans la plupart des démocraties occidentales.
Dès lors, comment croire le Président de la République française, Nicolas Sarkozy, lorsqu'il a affirmé, mardi 16 novembre 2010, à la télévision française, que "le chômage reculera l'année prochaine" et que l'engagement du gouvernement sera "total sur ce front-là", notamment en faveur des licenciés économiques et des jeunes. Que l'on soit libéral, néolibéral ou ultra-libéral ne change rien au fait que les gouvernements résistent peu à l'extension tous azimuts de la mondialisation et participent même à sa mise en place... En conséquence de quoi, il est difficile de les croire lorsqu'ils affirment à l'intérieur de leurs frontières, vouloir faire diminuer le chômage des jeunes tout en négociant à l'extérieur des frontières nationales, l'extension de la mondialisation libérale... Ce faisant, ils se privent eux-mêmes des moyens nécessaires à la résolution des difficultés vécues par leurs citoyens.

Mais les exemples de l'incohérence et de l'impuissance des responsables politiques ne sont pas restreints à la seule France. Le cas suivant est pris au Canada-Québec en donne une autre illustration.

Le système de santé au Québec : il est un fait avéré que le système de santé au Québec présente, depuis fort longtemps, des difficultés : les dépenses colossales qu’il nécessite sont accompagnées de services limités et de temps d’attente trop longs. Les débats pour trouver des sources de financement se multiplient, alors que beaucoup pensent qu’il serait insensé de majorer le fardeau fiscal des Québécois, déjà un des plus élevés en Amérique du Nord. Certaines solutions se dessinent, mais restent controversées : l’implantation de frais modérateurs et l’ouverture vers le privé. La question des temps d'attente, dans les services d'urgences notamment, semble exemplaire : ceux-ci ne font que croître régulièrement, alors même que les responsables politiques, lors de chaque élection, font la promesse de faire diminuer ces temps... Le temps d'attente médian, au Québec, entre la référence par un omnipraticien et le début du traitement est passé de 7,3 semaines en 1993 à 16,5 semaines en 2009, ce qui représente une augmentation d'un peu plus de 2 mois. Ce temps d'attente est plus élevé que la moyenne canadienne qui était de 9,3 semaines en 1993 et de 16,2 semaines en 2007. Les programmes électoraux des différents partis, lors de chaque élection pratiquement, mettent la question de la santé à l'ordre du jour. Ainsi, en 2003, la santé constituait une des priorités du programme du Parti libéral du Québec qui a remporté les élections. Aujourd'hui néanmoins la question reste entière...
Aux dires de nombreux québécois, leur système de santé fonctionnait assez bien jusqu'en janvier 1996, date de l'arrivée de Lucien Bouchard (Parti Québécois) au poste de Premier Ministre du Gouvernement du Québec. Le budget provincial voté en 1999 fait état d'un déficit budgétaire nul obtenu par des coupes importantes dans les services publics et dans la santé notamment. Le déficit du Québec, dans les années 1996 et 1997, avait été, en outre, aggravé par les coupures de 2,3 milliards de dollars du gouvernement fédéral dans les soins de santé. Afin d'obtenir l'annulation du déficit budgétaire, les responsables politiques québécois ont forcé le départ de 33000 personnes travaillant dans le système de santé : 1500 médecins, 4000 infirmières, 1800 auxiliaires ont pris volontairement et prématurément leur retraite tous en même temps. Dès lors, après avoir terrassé le système de santé, les politiciens se sont attelés à la tâche de le remettre en état!
Pire encore, le Parti Québécois qui est resté au pouvoir pendant une longue période (entre 1976 et 1985, puis entre 1994 et 2003) a contribué, par ses arguments, à faire croire aux citoyens québécois que l'appel au privé en matière de santé était une quasi hérésie. Si bien, qu'aujourd'hui encore, nombre de québécois sont réticents à faire appel au privé dans ce domaine, alors que chacun pourrait facilement comprendre que , dans un contexte de pénurie, ce n'est pas tant le privé qui est condamnable mais plutôt la façon dont le Gouvernement l'insèrerait au sein du système de santé. Le système de santé en France est souvent cité comme une référence mondiale et pourtant il fait appel au privé...
Encore une fois, cet exemple montre à la fois l'incohérence et le peu de vision à long terme des responsables politiques qui semblent, en outre, ignorer le fait que construire est souvent plus long et plus difficile que détruire...

Le cas de l'Union européenne : on constate, au cours de la crise actuelle particulièrement, combien la gouvernance de l'Union européenne est difficile. A une période où il serait nécessaire de faire preuve d'unité et de cohésion, les chefs d'Etats européens ne cessent de se diviser, de s'opposer, rendant chaque jour la situation de l'Union plus délicate et la fragilisant toujours plus... Lorsque les pères fondateurs de l'Europe ont entamés la « grande marche » vers la création de l'unité européenne, ils devaient, sans aucun doute, avoir en tête la projection future vers une gouvernance supra nationale de cet ensemble de nations. Or, leurs successeurs, même s'ils ont acceptés, apparemment sans réticence, de chevaucher le cheval de l'union, n'ont cessés de faire ressurgir les vieux démons nationaux à la moindre difficulté. Ils n'acceptent qu'avec beaucoup de précautions de perdre un pouce de leur pouvoir national au profit de l'Union. Lors de chaque élection nationale au sein des pays de l'Union européenne, il est remarquable de constater que les programmes des candidats ou des partis politiques sont, avant tout, des programmes nationaux et, que pratiquement rien n'est dit sur l'avenir de l'Union elle même. Quand verra t-on une élection nationale en Europe mettre en avant les questions proprement européennes ? Les difficultés actuelles de l'Europe dans les domaines monétaire, social ou économique sont en grande partie le résultat de ces divisions ou de cette indifférence envers les problèmes supra nationaux... Peut-on vouloir créer une nouvelle entité rassemblant vingt sept pays tout en maintenant la gouvernance au niveau de chaque nation ? Est-il raisonnable de s'engager dans le processus de la construction européenne tout en oeuvrant, en chaque occasion, à la construction de sa seule et propre nation ? Pourtant, il faut savoir que l'échec de l'Union européenne serait, à coup sûr, l'échec de chacune des nations constitutives. Le coup à payer, dans une telle éventualité serait considérable et les responsables politiques d'un tel désastre ne s'en relèveraient pas. Les citoyens européens ne doivent perdre de vue ce point de façon à pouvoir constamment le rappeler à leurs dirigeants....

Il serait facile de multiplier les exemples allant dans le même sens. Après s'être enlevés les moyens d'agir, dans une situation difficile donnée, nos responsables sont souvent portés à croire qu'il suffit de faire des promesses inconsidérées ou de la surenchère gratuite pour pouvoir séduire leur électorat et ainsi faire taire ses réticences. C'est, par exemple le cas du président français, Nicolas Sarkozy, qui a basé sa première campagne présidentielle sur la notion de « rupture », une nouvelle façon sans doute de qualifier la « révolution tranquille » chère aux Québécois. Trois ans après son accession au pouvoir, les français sont encore à la recherche de cette fameuse rupture. En tous cas, s'il y en a une elle est loin d'avoir améliorée la situation des citoyens français qui, aujourd'hui sont placés dans une situation socio- économique plus détériorée qu'avant l'élection. Pire encore, en prévision de la prochaine élection présidentielle de 2012, la « seconde rupture » semble déjà se profiler dans le programme électoral du candidat Sarkozy... Y croire serait, cette fois, faire preuve de masochisme de la part des citoyens français... L'incohérence en politique est source d'inefficacité, d'indécision et ouvre la porte à la perte de confiance des citoyens, au développement de l'individualisme et même à la corruption.
En conclusion, il ne faut pas oublié que, dans les sociétés démocratiques, les responsables politiques sont, généralement, les représentants, souvent élus, des citoyens. En conséquence, il apparaît utile que les citoyens, eux aussi, s'interrogent sur la cohérence de leurs choix politiques...

jeudi 11 novembre 2010

Le désespoir des français

Plusieurs commentateurs (voir notamment le journal « Le Monde » du 6 novembre 2010) insistent ces derniers temps sur la perte de confiance qui gagne les français. Le mouvement social contre la réforme des retraites a servi de révélateur à cette crise qui conduit les citoyens français à voir l'avenir teinté de sombre... Les causes de cette situation ont été analysées amplement et, sans qu'il soit besoin d'insister, on peut en rappeler quelques unes ici : sentiment de régression face aux attaques du gouvernement contre les acquis sociaux, sentiment d'impuissance devant la perte de prestige de la France dans le monde, devant les conséquences de la mondialisation, difficulté d'emploi pour les jeunes mais aussi pour les plus âgés, perte de pouvoir d'achat par suite du plan de rigueur gouvernemental, défiance envers la classe politique, remise en cause du modèle français singulièrement sur les plans de la santé et de l'éducation, accroissement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, impuissance relative face aux problèmes crées par l'émigration,... Cette liste est loin d'être exhaustive. Cependant, il serait pernicieux de s'arrêter à ces maux sans mettre en exergue les points forts et les réussites de la France dans bien des domaines. Lorsque l'on voyage un peu, il apparaît rapidement que la France reste encore une référence pour la qualité de vie qu'on peut y trouver, pour le niveau de protection sociale qui est offerte aux citoyens, et même pour la capacité des citoyens français à se mobiliser pour défendre des causes ressortissant de l'intérêt général. Pour autant, les aspects positifs ne semblent pas suffire à remonter le moral des citoyens français.

Il me semble que deux points mériteraient d'être un peu plus étudiés, alors qu'ils ne sont généralement pas ou peu mentionnés dans la liste des causes de mécontentement : il s'agit de la montée de l'individualisme d'une part et, de la remise en cause de la langue française d'autre part.

L'individualisme est devenu pour certains, et pour nombre de jeunes particulièrement, la nouvelle utopie sociale. Selon cette conception, chacun se doit de mener sa vie comme il l'entend et l'Etat-providence n'a plus à intervenir dans la vie de chacun. Ainsi, par exemple, il n'est plus besoin de système de retraite, chaque personne étant responsable de la préparer pendant sa vie active. Ce modèle, directement inspiré des théoriciens du libéralisme, s'est illustré de façon spectaculaire lors des dernières élections à mi-parcours aux Etats-unis d'Amérique, au travers des thèses défendues par le « Tea Party ». Selon les tenants de cette approche, les gouvernements libéraux doivent mettre en avant l'initiative individuelle, notamment en matière de protection sociale, ce qui a pour effet de casser le lien social entre les individus et de faire diminuer la résistance des citoyens basée sur leur solidarité. On sait, en effet, qu'aucun changement de société important ne peut s'obtenir en l'absence d'unité, de solidarité, ou au moins d'un consensus important au sein de la société....
Un exemple récent pris au Québec montre comment la perte de la notion d'intérêt général au profit d'intérêts catégoriels et donc, d'un certain degré d'individualisme peut être néfaste : un professeur d'université proposait que les étudiants acceptent l'augmentation des droits de scolarité proposée par le gouvernement au prétexte qu'ils vont, plus tard, devenir les individus les plus riches de la société..... Ce type de raisonnement ne peut que casser la solidarité qui existe naturellement entre les étudiants et les travailleurs les moins riches. En mettant l'accent sur la différentiation future entre les étudiants d'aujourd'hui et les cadres qu'ils seront demain on place déjà un coin entre ces deux catégories de citoyens et on tend a casser la solidarité possible dans le moment présent.... Le modèle des Etats-unis d'Amérique étant très populaire dans la jeunesse, il n'est pas étonnant de voir cette conception individualiste progresser régulièrement chez les jeunes français. Cela est d'autant plus compréhensible que le modèle français, lui, a fait la preuve de son inadaptation au monde contemporain au regard du taux élevé de chômage qui frappe la jeunesse dans ce pays. Dans ce contexte, il est de plus en plus fréquent de voir des jeunes français quitter la France pour s'expatrier en Amérique du nord en imaginant que leur avenir y sera plus facile. Près de 7000 Français étudient dans les universités québécoises alors qu’environ un millier de Québécois partent étudier en France chaque année. On a même observé une inversion du flux d'échange des étudiants entre la France et le Québec. Il y a quelques années, c'étaient les québécois qui étaient les plus nombreux à partir vers la France.
Il ne faut pas se tromper, les nombreuses manifestations de rue, plus ou moins spontanées, qui ont lieu régulièrement en France, le succès des réseaux sociaux virtuels du type Tweeter ou Facebook et, plus généralement de l'Internet... tout cela ne peut combler le déficit croissant de lien social qui affecte l'Hexagone. Ce déficit trouve ses causes dans plusieurs origines : la désintégration de la famille, le délaissement religieux, la désyndicalisation, la défiance envers les partis politiques et les politiciens,... Le "salut" pour beaucoup de français ne semble plus n'être qu'à la portée de choix individuels, de décisions personnelles. Le corollaire de cette perception étant un fort sentiment de solitude et d'impuissance qui peut parfois conduire jusqu'à la dépression comme on a pu le constater dans nombre de faits divers récents manifestant la difficulté de la vie en entreprise...
Combattre cette tendance ne pourra se faire que par la remise en avant de grandes causes d'intérêt général. Nombre de défis sont devant les français : le sauvetage des systèmes d'éducation, de santé et plus généralement de protection sociale; le retour aux valeurs de générosité et de tolérance envers l'étranger, la lutte contre l'augmentation des inégalités, contre l'appauvrissement de la majorité de la population, le rétablissement de l'image de la France dans le monde et la fin de l'alignement sur les modèles libéraux qui ont largement fait la preuve de leur échec. Il faut que les français acceptent d'être eux-mêmes en proposant au monde des modèles originaux en matière de développement économique, culturel, social... Ils peuvent le faire au sein de l'ensemble européen en travaillant à orienter l'Union vers des objectifs plus conformes à leurs souhaits. Cela ne sera possible qu'en s'appuyant sur une restructuration de la population en terme d'union et de solidarité. L'éparpillement des forces de changement, l'action individuelle,... ne pourront jamais remplacer la puissance de l'union, la force de la cohésion, pour faire aboutir les changements. Une fois terminée, les actions d'éclats dans les rues il faut encore être capable de conserver une certaine crédibilité, un pouvoir de négociation qui ne sont possibles que si l'on dispose d'organisations structurées et représentatives. Avec 8 %, la France enregistre le pourcentage de syndiqués dans sa population active le plus faible de l’OCDE. Les syndicats actuels ont perdus de leur crédibilité en s'éloignant des objectifs essentiels pour leurs mandants. Ce n'est qu'en menant des actions combatives et victorieuses sur les thèmes qui constituent les priorités de leurs membres que les syndicats pourront regagner de la popularité. Chaque bataille perdue est une incitation pour les syndiqués à quitter l'organisation.

Le second point qui me paraît justifier une partie du désespoir des français est relatif au traitement qui est infligé à leur langue : le français. Le problème est connu, cette langue, comme bien d'autres, se trouve affaiblie devant la montée de l'anglo-américain. Chacun peut, quotidiennement, constater son infection par des mots anglais, dans les médias et dans la publicité notamment. Les entreprises imposent de plus en plus souvent la maîtrise et l'emploi de l'anglais à leurs employés au mépris des réactions de ceux qui souhaitent continuer à travailler en français. L'université et la recherche ont vendu leur âme à l'anglais depuis déjà longtemps au point qu'il est devenu quasiment impossible de publier un résultat de recherche en français voire de communiquer dans cette langue. Le cinéma français lui aussi est aliéné au point de ne plus produire que des bandes sonores anglophones. Les chanteurs francophones se mettent eux aussi à la mode en chantant dans la langue de Shakespeare de plus en plus fréquemment...Les responsables politiques eux-mêmes se permettent d'utiliser un niveau de langage peu respectable des normes. On est en droit de s'inquiéter quand le langage du président de la République(« Casse-toi pauv'con ! ») devient un symptôme du « parler vrai », accessible et populaire, qui déferle dans toute la classe politique. A l'ONU, où le français est pourtant une langue de travail, les responsables francophones préfèrent s'exprimer dans un anglais imparfait, mais conforme à celui de l'élite mondialisée...Comme si la langue, et tout ce qu'elle représente - lien, identité, citoyenneté - était un héritage désuet et encombrant, juste bon pour la poussièreuse Académie française ou la méconnue Délégation à la langue française.

Mais le pire, le plus déprimant, reste l'inaction des élites face à cette situation. Inaction qui souvent frise la collaboration, la collusion. Est-il besoin de rappeler que la langue est une partie fondamentale de l'identité d'un individu ? Toucher à la langue peut donc créer un traumatisme profond chez les personnes. On a tous en mémoire des exemples soulignant ce caractère fondamental de la langue : au Québec, par exemple, la langue française, se transforma en une arme de combat et en symbole de libération d'une société qui n'acceptait plus son statut de minorité plus ou moins aliénée. Cette nouvelle vision de la langue, passée du stade défensif au stade offensif, a engendré «l'époque des lois linguistiques», c'est-à-dire la loi 63 (Loi pour promouvoir la langue française au Québec, 1969), la loi 22 (Loi sur la langue officielle, 1974) et la loi 101 (Charte de la langue française, 1977). Du statut de langue nationale des Canadiens français, le français accéda au statut de langue étatique, aboutissement ultime d'un long processus de libération nationale.

Un autre exemple est fourni par la politique d'arabisation en Algérie : Le passage de la langue française, langue du colonisateur, à la langue arabe ne s'est pas réalisé facilement et a donné lieu à de nombreuses dérives. Pourtant, dans ce cas, il s'agissait de rétablir une certaine justice au plan culturel en redonnant à la langue arabe une place plus importante, place qu'elle avait perdue au profit du français au cours de la période coloniale. Cette politique continue à faire problème de nos jours notamment dans le système scolaire. L'arabisation est, en effet devenue, le symbole d'une « école sinistrée » pour certains, alors que pour d'autres elle est emblématique de l'islam et de l'appartenance au monde arabe. Le pouvoir algérien a plus récemment été conduit à rénover le système éducatif en réintroduisant la langue française.

Les problèmes linguistiques en Belgique nous fournissent encore un exemple de radicalisation des positions basée, en partie, sur les différences de langues. La Belgique est passée d'un Etat unitaire en 1830, où les différences linguistiques ne jouaient qu'un rôle mineur, à la situation actuelle fondée sur un découpage en trois régions dotées d'une autonomie linguistique, culturelle et politique plus ou moins marquée. La domination historique des francophones et donc de la langue française, sur le néerlandais a conduit à la radicalisation progressive des positions flamandes et aujourd'hui, au risque d'éclatement du pays sur une base linguistique.

L'Afrique donne aussi à voir de multiples cas où le mauvais traitement linguistique a pu conduire à des affrontements violents entre groupes ethniques...

On pourrait multiplier les exemples soulignant combien la question linguistique peut être problématique pour les sociétés humaines, mais ce qu'il faut retenir ici me semble être le fait que toucher à la langue, la maltraiter, peut créer un profond désarroi chez les peuples concernés. Les citoyens français, sans tous en être conscients, me paraissent affectés par cette évolution qui vise à faire passer leur langue à un rang inférieur...

Les responsables politiques, les décideurs de toutes catégories devraient porter attention à ces questions aussi rapidement que possible, faute de quoi, ils risquent d'être surpris par le réveil de la population française qui affronte un ensemble de difficultés assez considérable en ce moment...

vendredi 5 novembre 2010

Contribution au débat public-privé en matière de santé au Québec

La question de la place du privé dans le système de santé québécois revient régulièrement à la une de l'actualité. La position la plus fréquemment entendue consiste à dire que, pour sauvegarder le système de santé au Québec, il faut éviter de donner une part de ce "marché" au privé (l'expression "médecine à deux vitesses" est souvent citée pour qualifier la participation du privé). Tout se passe comme si l'attachement des québécois à leur système de santé public interdisait de faire appel, peu ou prou, à la collaboration du privé. Il est pourtant inutile d'insister sur les difficultés du système public qui peine à remplir ses missions malgré des investissements toujours plus importants.

Rappelons simplement qu'un des points principaux du programme du Parti libéral du Québec, lors des élections de 2003, consistait précisément à diminuer les temps d'attente dans les services d'urgences des hopitaux. Il est clair, qu'aujourd'hui encore, cette question n'a toujours pas reçue de solution satisfaisante.

Sur un autre plan, les québécois se rendent compte de plus en plus que leur système de santé n'est pas à leur service mais plutôt que ce sont eux qui sont au service du système. Une simple illustration : généralement un rendez-vous avec son médecin de famille (lorsque l'on a la chance d'en avoir un) est fixé par le médecin et non par le patient. Si bien que, si vous n'êtes pas disponible le jour fixé, votre rendez-vous à toutes les chances d'être reporté pour un délai assez lointain...

Dans ce contexte, il me semble que l'appel à toutes les ressources disponibles devrait être encouragé. La médecine privée existe au Québec et au lieu d'être systématiquement condamnée, elle devrait être mise au service du public afin de collaborer à la résolution des difficultés du système de santé. Cependant, l'intégration du privé dans l'ensemble du service public de santé ne doit pas se faire sans précaution. Elle doit, notamment, sauvegarder les intérêts du public et, donc, ne pas entrainer de coûts supplémentaires pour les patients. Cela est possible si le Gouvernement québécois s'en donne les moyens en réglementant la question des coûts à supporter par les patients de façon à ce que le patient puisse librement choisir son système, public ou privé, avec des conditions de prise en charge qui soient identiques ou voisines. L'objectif ici n'est pas de mettre en place "un système à deux vitesses" mais plutôt un système de santé unique à deux composantes, l'une publique et l'autre privée. En un mot, un "système à une seule vitesse" qui soit plus efficace que l'actuel. Bien entendu, il faudra faire des choix budgétaires afin de mettre en place un tel système. Ces choix ne pourront se faire qu'avec l'accord de l'électorat.

Un autre avantage de cette façon de faire serait la mise en concurrence plus loyale des deux systèmes avec, pour conséquence, l'amélioration des performances d'accueil et de soins pour l'ensemble du système de santé.

jeudi 4 novembre 2010

La victoire annoncée du Président Obama

On peut désormais parier, avec de bonnes chances de succès, sur la victoire du président Obama aux prochaines élections presidentielles de 2012 aux Etats unis d'Amerique. Cette opinion peut paraître surprenante, alors même que les récentes élections a mi-parcours viennent de donner une victoire relative aux Républicains en reversant la majorité au Congrès. A mon avis, le président Obama est aujourd'hui dans une posture plus favorable pour aborder la prochaine échéance électorale. En effet, il possède désormais une justification facile à opposer aux éventuels futurs échecs de sa politique : sa responsabilité personnelle est attenuée par la présence de l'opposition majoritaire au Congrès. Il lui sera toujours possible d'argumenter en mettant l'accent sur les réticences de la majorité du Congrès par rapport à ses initiatives. Face au blocage du pays qui risque de résulter de cette nouvelle situation, le président Obama pourrait voir sa popularite se renforcer en passant de l'état de responsable principal à celui de "victime" du Congrès. C'est maintenant à lui de gérer finement cette nouvelle situation de façon à éviter d'endosser la responsabilité de la situation de blocage.... Il faut, en outre, se souvenir que l'électorat est souvent plus indulgent avec ses élus lorsque ceux-ci sont affectés d'un certain handicap qui leur a été plus ou moins imposé. On se souvient, par exemple, que la popularité de Lucien Bouchard au Québec a considérablement augmentée après que celui-ci ait du être amputé d'une jambe en 1994 à la suite d'une atteinte par une maladie rare. On se remémore également, qu'en France, la cohabitation politique entre le président socialiste F. Mitterand et le premier ministre de droite Jacques Chirac de 1986 à 1988 n'a pas empéché le président Mitterand d'être reélu en 1988. Il semble, généralement, plus facile à l'électorat de pardonner à un homme politique qui fait face à des difficultés reconnues qu'à celui qui parait n'en avoir aucune....

mercredi 3 novembre 2010

Complexité de la communication

La difficulté de communiquer est bien connue et ce, depuis longtemps. Elle est reliée à de nombreuses raisons, parmi lesquelles la description précise et objective de la réalité n'est pas la moindre. Communiquer fait, en effet, appel à plusieurs activités cérébrales : penser, observer, décrire, interpréter...

Les physiciens ont mis l'accent sur la question de l'observation et de la description, particulièrement dans le cadre de la physique quantique. Le "principe d'incertitude" fut énoncé en 1927 par Heisenberg. Ce principe ne porte pas sur l'ignorance subjective par l'expérimentateur de grandeurs, mais bien sur l'impossibilité de les déterminer, et même d'affirmer qu'une détermination plus précise de ces grandeurs existe. De manière simplifiée, ce principe d'indétermination énonce donc que — de façon assez contre-intuitive du point de vue de la mécanique classique — pour une particule massive donnée, on ne peut pas connaître simultanément sa position et sa vitesse. Une autre façon d'exprimer les choses a souvent été mise en avant par les théoriciens de la physique : l'observation de la réalité modifie cette réalité. En conséquence, il devient impossible de connaître précisément cette réalité. C'est, en fait, la mesure qui perturbe le système et le fait bifurquer d'un état quantique vers un autre état. Cet état ne préexiste pas à la mesure : c'est la mesure qui semble le faire advenir...
Ici, il est question du niveau atomique de la réalité et on pourrait se demander en quoi cela est en relation avec l'observation du monde au plan macroscopique ? Une réponse simple est que le monde étant constitué d'atomes, il est fort probable que les aspects quantiques de la physique doivent aussi se faire sentir au niveau macroscopique. En fait, cette relation entre les deux niveaux d'observation a été mise en évidence, dès 1935, par le physicien Erwin Shrödinger. L'expérience du chat de Schrödinger a justement été imaginée pour faire surgir l'indéterminisme microscopique dans le monde macroscopique de notre vie quotidienne. L'idée de Schrödinger consiste à placer un chat dans une boite fermée. Cette boite est pourvue d'un système destiné à tuer le chat (il s'agit évidemment d'une expérience de pensée.). Ce système est constitué d'un flacon de poison, d'une petite quantité de matière radioactive et d'un compteur Geiger. Lorsque la première désintégration d'un noyau radioactif se produit, le compteur Geiger réagit en déclenchant un mécanisme qui casse le flacon et libère le poison mortel. Ainsi, la désintégration d'un noyau radioactif, un processus microscopique, se traduit par la mort du chat, un événement macroscopique. La désintégration d'un noyau radioactif est un processus purement quantique qui se décrit donc en termes de probabilités. Il est impossible de prévoir quel noyau se transformera en premier ou bien quand la première désintégration se produira. La seule chose que nous puissions calculer est la probabilité qu'un certain nombre de noyaux se soient désintégrés après un temps donné. Nous pouvons en particulier choisir une substance radioactive adéquate de telle façon qu'après cinq minutes, il y ait 50 pour cent de chances qu'un noyau se soit désintégré et 50 pour cent de chances que rien ne se soit produit.
Fermons donc la boite et patientons pendant cinq minutes. Puisque la désintégration radioactive s'exprime en termes de probabilités, le sort du chat ne peut être décrit qu'en termes similaires. Après cinq minutes, il y a donc 50 pour cent de chances que le chat soit mort et 50 pour cent de chances qu'il soit vivant.
Dans l'interprétation traditionnelle de la mécanique quantique, le chat n'est alors ni mort, ni vivant. Il se trouve dans une superposition de ces deux états. Ce n'est que lorsque nous ouvrons finalement la boite que l'un des deux états possibles devient la réalité. Le chat est alors soit vivant, soit mort.

Les sociologues connaissent, eux aussi, des difficultés au plan de l'observation et de la description de la réalité. Ils ne partagent pas nécessairement la même représentation mentale de la réalité sociale. Là où certains voient une multitude d’acteurs individuels poursuivant chacun leur propre logique, d’autres considèrent que les groupes sociaux, dont les individus font partie, ont une action prépondérante. Une représentation permet de décoder une réalité sociale complexe en lui appliquant un “schéma de perception” réduit à quelques éléments et relations essentiels. Ainsi, les concepts de "catégorie sociale", "classe sociale", "groupe social", traduisent chacun une forme de représentation sociale, une “vision” du monde. Pour éviter une représentation subjective, celle-ci devrait, selon certains, être “savante” : classements, modèles et théories élaborés par l’étude scientifique (et donc rationnelle) des faits sociaux.

En intelligence artificielle, on sait qu'une représentation ou une description parfaite de la réalité est impossible. La représentation, dans la mémoire d'un ordinateur, d'une "forme" au sens large (geste, parole, écriture, etc) nécéssiterait une infinité de variables alors, qu'en pratique, on doit se limiter à un nombre fini de variables descriptives, ne serait ce que pour des raisons de place en mémoire de la machine. Pensons, par exemple, au nombre de variables nécessaires pour représenter en mémoire une personne humaine. On pourrait la décrire par sa taille, son poids, sa pointure de chaussure, la couleur de ses yeux, celle de sa peau, son tour de taille etc. Où doit-on s'arréter ?

Pour dire les choses simplement, nous diront que la traduction d'une réalité par un observateur, quel qu'il soit, en vue de la faire partager par d'autres, est une opération qui présente bien des difficultés. En effet, outre les difficultés soulevées au niveau atomique, les faits sont appréhendés au travers de multiples prismes déformants parmi lesquels on peut citer : la culture (de l'émetteur et du récepteur), les objectifs visés qui peuvent différer selon, par exemple, les choix politiques des individus, l'état mental des personnes (un observateur ou un récepteur déprimé ne sera probablement pas équivalent à un individu en pleine forme)...

Dès lors, il n'est pas surprenant de constater, à travers les médias par exemple, combien un même évènement peut être traiter de façons diverses. Les récentes grèves, à l'occasion de la modification de la loi sur les retraites en France, nous ont permis de percevoir concrètement ce phénomène. Pour les syndicats et pour la presse de gauche qui soutenaient ce mouvement, il avait son origine dans la souffrance subie par les travailleurs au cours de leur vie professionnelle. Il était parfaitement juste et le Gouvernement français se devait de tenir compte de l'expression du mécontement relatif à la nouvelle loi. Le point de vue économique était mis en avant par les partis et la presse de droite qui insistaient, eux, sur la nécessité d'ajuster les paramètres économiques au vieillissement de la population française afin d'éviter une faillite future du pays qui croulerait sous les dettes. Depuis l'étranger, les observateurs insistaient plutôt sur la paralysie de la France qui résultait de ces mouvements de grève. Les autorités des Etats-unis d'Amérique et du Royaume uni, notamment, ont même été jusqu'à recommander à leurs ressortissants de ne pas se déplacer en France...

On voit là combien une même réalité est difficile à traduire par des observateurs distincts. Mais, pire encore, la réception des informations souffre, elle aussi, des mêmes maux. Certains pourront effectivement croire que la France est au bord du gouffre. D'autres, au contraire, verront dans ces évènements l'expression du sens critique des français et leur propension à faire évoluer les décisions politiques par les manifestations de masse. D'autres encore insisteront sur le caractère culturel, ludique et festif de ces manifestations qui sont un moyen pour le peuple français d'entretenir le lien social dont il est friand...

Que doit-on déduire de ces difficultés à appréhender l'objectivité d'une réalité ? A mon avis, il serait essentiel que les décideurs (politiques notamment) prennent mieux en compte ce phénomène, de la relativité de certaines visions, de la diversité des points de vue, et qu'ils en viennent à traduire cette situation par une attitude plus tolérante, plus conciliatrice. Qu'ils manifestent plus d'empathie envers les personnes dont ils sont les représentants, élus ou non. Les acteurs devraient être convaincus que leurs points de vue diversifiés ont été, au moins partiellement, entendus. Cela nécessite du temps, bien sûr, mais aussi de la pédagogie. Les partis politiques, les responsables d'entreprises notamment, devraient tenter plus souvent de débattre sereinement des différents points de vue en présence et éviter les "passages en force" qui ne peuvent consister qu'en des victoires à court terme, tandis que les problèmes de fond, les insatisfactions finiront toujours par ressurgir un jour ou l'autre....