Je viens de terminer la lecture du pamphlet intitulé "Manifeste d'un surtaxé", rédigé par Robert Deschamps et publié aux Editions « Carte blanche » (Montréal, 2010). Même si cet essai contient certaines affirmations qui semblent véridiques, on ne peut qu'être frappé par son caractère outrancier et extrémiste.
L'auteur, en effet, rejette en bloc tout ce qui constitue le Québec contemporain : ses gouvernements et la politique menée, tant par le Parti québécois que par le Parti Libéral; sa classe politique, accusée de n'avoir "aucun intérêt à modifier ses pratiques d'extorsion fiscale, ses promesses de gratuité irréelle et ses programmes de redistribution d'une richesse qu'elle n'a pas produite"; son système éducatif, "qui n'a pas la moindre chance de rendre les québécois avisés et performants dans le domaine économique"; son système de santé, "étatisé" ; "son système social qui cautionne la médiocrité, la fainéantise et l'hédonisme parasitaire" ; le peuple québécois, lui-même, est qualifié "de frivole et fanfaron qui ne voit dans l'économie qu'un énorme coffre au trésor à piller" ; le monde de la culture, devenu une "féodalité coûteuse..." .
Le style utilisé, agressif et prétentieux, ne fait que renforcer le malaise que l'on éprouve à lire ce texte. D'une façon plus générale, l'argumentaire de l'auteur est centré sur la lutte contre les "improductifs" qui sapent la société québécoise dans tous ses fondements. La solution préconisée est simple (et sans doute simpliste) : confier le pouvoir absolu aux entrepreneurs. Les pôles d'interventions suggérés par l'auteur tiennent en quatre points :
- "intensifier la valorisation des productifs";
- "intensifier le discours critique à l'endroit des improductifs";
- "concurrencer l'Etat sur tous les plans";
- "infléchir pédagogiquement la productivité".
Cet ouvrage est, en fait, une ode à l'individualisme et aux entreprises privées par opposition au service public. Une difficulté vient du fait que l'auteur mélange des faits réels indéniables avec des positions extrêmes difficilement crédibles. Un seul exemple : s'il est partiellement vrai, comme l'écrit l'auteur, que "les organisations qui produisent l'abondance matérielle sont mises sur pied par des individus particuliers, visionnaires, déterminés, audacieux, superbement organisés et efficaces, dont le nombre au sein d'une nation, demeure restreint et invariable,.." peut-on aller jusqu'à en déduire, comme le fait R. Deschamps que : "il existe, au sein de l'Humanité, une hiérarchie naturelle en vertu de laquelle la valeur d'un individu se trouve déterminée par l'absolue nécessité de sa présence dans le processus de la production des biens et services. Ainsi, en haut de l'échelle, il y a les fondateurs d'entreprises... Au second rang, viennent les chercheurs et les inventeurs... En troisième position, se trouvent les professeurs... En quatrième place, on retrouve les gestionnaire... Cinquièmement, entrent en jeu les praticiens professionnels... Enfin, au dernier échelon, s'alignent les ouvriers de toute nature...." ?
Il est certain que l'appel au privé ne doit pas être négligé dans une société moderne. C'est, en effet, une façon de décupler les ressources disponibles au service d'un projet. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que, tant le privé que le service public, sont en synergie permanente et que c'est souvent la compétition entre ces deux types de service qui fait progresser la situation. Il s'agit, en réalité, de deux approches qui sont complémentaires et nécessaires. D'ailleurs, on observe, souvent, que les progrès de l'un entrainent l'évolution positive de l'autre... Il ne faut pas non plus croire que l'absence totale de services publics puisse être considérée comme une solution fiable aux problèmes sociaux. L'Etat, au travers des services publics et de son administration, vient apporter une régulation dans le fonctionnement de la société. Cette action se réalise, le plus souvent, au profit des éléments les plus faibles de la société qui risqueraient, autrement, d'être laminés et abandonnés. L'absence d'intervention de l'Etat deviendrait contre-productive, car la création de pauvreté va souvent de pair avec l'apparition de délinquances de toutes sortes... Les mieux nantis profitent, eux aussi, de l'intervention étatique en leur permettant, par exemple, de mieux protéger leur patrimoine ou leurs acquis.
Une société, une nation, quelle qu'elle soit, a besoin de grands projets pour avancer. Souvenons nous du président des Etats-unis d'Amérique, JF Kennedy, qui, dans les années 1960, proposa à son pays le programme dit "Nouvelle frontière" avec pour objectifs la détente avec l'URSS, l'envoi d'un homme sur la lune, l'égalité des noirs et des blancs, la relance de l'économie, la lutte contre la pègre et l'arrêt de l'expansion communiste dans le monde. Il en fût de même en France, avec le général De Gaulle qui, à partir de sa prise de fonction comme président de la République française en 1959, engagea son pays dans un difficile programme de revitalisation basé sur la création du nouveau franc, sur le refus de la domination des Etats-unis d'Amérique et de l'URSS, sur l'indépendance de la France et de sa force de frappe nucléaire, sur la création d'un programme spatial, sur la mise en place de la Communauté économique européenne... Au Québec aussi, les années 60 voient le début de la "Révolution tranquille" caractérisée par une réorientation de l'Etat québécois qui adopte les principes de l'Etat-providence, la séparation de l'église et de l'Etat et la construction d'une nouvelle identité québécoise différente de la référence au canadien-français.
Aujourd'hui, nombre de sociétés, notamment en occident, semblent bloquées, comme parvenues à un état de développement qu'elles ont du mal à dépasser, à modifier. Pourtant, la plupart des données environnementales et socio-économiques poussent aux changements. La fin programmée des ressources énergétiques traditionnelles (pétrole, uranium,...), le réchauffement climatique, la pollution atmosphérique, terrestre et maritime, la croissance forte de la population mondiale et la crainte du manque de ressources alimentaires, le creusement généralisé des inégalités entre riches et pauvres, la généralisation de l'abstention dans les processus électoraux, les crises financières à répétition, la perte de confiance dans la classe politique, ... tout cela constitue une incitation forte au changement, à la réorientation des politiques.
Il devient urgent de proposer de nouveaux grands projets aux citoyens, de « nouvelles frontières » à conquérir, de nouveau rêves... Dans cette perspective, il m'apparaît que la proposition du "Manifeste" de Robert Deschamps de faire du Québec une "terre de performance véritable", à partir de la glorification de la productivité et de l'individualisme, n'est pas à la hauteur du défi. La création, suggérée par l'auteur, d'une catégorisation naturelle des individus en fonction de leur propension à être productif ne peut faire rêver personne et pourrait tout au plus donner des frissons de peur à certains... Le rêve, pour le Québec, de constituer un jour un pays semble actuellement écorné mais il pourrait cependant, renaître s'il était proposé de façon nouvelle, de façon plus dynamique qu'à partir du sempiternel référendum préalable... La langue française, qui semble en perdition aujourd'hui, serait susceptible d'être porteuse d'un grand projet qui dépasserait les frontières du Québec, une alliance des francophones d'Amérique, des Amériques, qui inclurait l'Amérique du nord, l'Amérique centrale, l'Amérique du sud, la Caraïbe et, bien entendu, les canadiens francophones hors du Québec. Travailler en français, se cultiver en français, se distraire en français pourrait être motivant au sein de cette alliance. Mieux encore, montrer au monde que l'égalité des langues peut être vécue de façon sereine et réelle en prônant un plurilinguisme actif et concret, c'est à dire reposant sur une politique linguistique adéquate au sein du système éducatif, serait aussi un des objectifs de ce grand projet dont le Québec pourrait devenir le leader. Il serait, d'ailleurs, possible de profiter du côté multiculturel affirmé de la métropole montréalaise pour atteindre cet objectif. Se donner des perspectives de réduction des inégalités entre le Nord et le Sud, entre les riches et les pauvres; redonner du sens aux valeurs humanistes, bâtir une société québécoise moins matérialiste, plus solidaire, plus harmonieuse; contribuer à l'utilisation de nouvelles sources d'énergie moins polluantes, plus durables... sont des perspectives qui peuvent capter les énergies et les rêves de la jeunesse...
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