mercredi 16 février 2011

Gouvernance mondiale et mimétisme des gouvernements

On peut être surpris de voir, d'un coté, les difficultés des gouvernements a établir les règles d'une gouvernance mondiale ou même seulement régionale, comme au sein de l'Union Européenne par exemple, et d'un autre coté, le mimétisme en vigueur parmi ces mêmes gouvernements.

Il est fréquent, en effet, de voir les Etats se copier les uns les autres dans bien des domaines. Pensons, par exemple, à la question du mariage gay ou mariage homosexuel. Ce type d'union a d'abord été refusé par la quasi totalité des gouvernements puis, une fois le mouvement lancé, pendant l'année 2000, par le Royaume des Pays-bas, une grande partie des gouvernements du monde se sont mis a légiférer en la matière. Au 14 février 2011, en plus des Pays-bas, neuf pays ont légalisé ce type de mariage : la Belgique (2003), l'Espagne (2005), le Canada (2005), l'Afrique du Sud (2006), la Norvège (2008), la Suède (2009), le Portugal (2010), l'Islande (2010) et l'Argentine (2010), auxquels s'ajoutent la ville de Mexico, cinq États des Etats-Unis d'Amérique et Washington. On pourrait faire la même observation a propos de bien d'autres sujets : la formation scolaire et universitaire (mise en place du LMD en Europe,...), législation fiscale, la défense du patrimoine, l'apprentissage de l'anglais, le renforcement du libéralisme.... Keynes a montré combien les comportements économiques relèvent du mimétisme pour prévoir la valeur d'une action : il est plus rationnel de chercher à savoir ce que les autres opérateurs du marché vont en penser que de se fier à sa propre intuition. Au delà des marchés économiques, si le NIH (Not Invented Here) existe il est très minoritaire face au "Me too" : mon concurrent a mis en place SAP (Systémes, Applications et Produits de traitements de données), moi aussi. Il centralise pour mieux contrôler ? Moi aussi. La récente crise des subprimes a montré les catastrophes que ce mimétisme irresponsable peut créer.
On parle parfois de "politique de mimétisme" ou de "politique d'imitation" (voir par exemple : "La politique du mimétisme : Les relations civilo-militaires en Europe de l'Est", Revue Etudes internationales, vol. XXXII, n°2, juin 2001).
On comprend cependant que, derrière cette façon de faire, il y a le noble désir de copier ce qui marche ailleurs afin d'améliorer sa propre situation...

Parallèlement, les mêmes gouvernements semblent arque-boutés sur des positions nationalistes. Ce repli peut conduire à défendre des positions réactionnaires. En Allemagne, par exemple, une nouvelle campagne nationaliste a été lancée pour libérer la plus forte économie du continent européen de ses engagements envers l'Europe. Dans son dernier livre, "Sauver notre argent", l’ancien patron de la fédération allemande de l’industrie, Hans-Olaf Henkel, argumente en faveur d’une séparation en deux de la zone euro, avec l’Europe septentrionale (Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche) dans un camp et les pays méridionaux tels l’Espagne, l’Italie et la France dans l’autre. Dans un certain nombre de pays européens, dont l’Italie, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Hongrie, des partis politiques ultra droitiers et racistes sont, soit déjà au gouvernement, soit jouent un rôle majeur dans la détermination de la politique. En France, le président Sarkozy a cherché à s’approprier les positions du Front national néo-fasciste au moyen de campagnes menées contre les communautés musulmanes, sinti et roms du pays.
(http://wsws.org/francais/News/2010/dec2010/nati-d22.shtml).
Une des raisons majeure qui freine la construction de l'Union Européenne semble bien se trouver liée à ce nationalisme qui agit à rebours des orientations favorables à cette construction.
On pourrait facilement citer d'autres cas de mise en oeuvre de ce nationalisme gouvernemental au sein des cinq continents.

Tout se passe donc comme si l'amélioration de situations nationales pouvait se réaliser en copiant d'autres gouvernements, mais, dans le même temps, une fois acquise une situation, comme si on interdisait aux autres gouvernements d'imiter l'approche qui a permit d'atteindre ce résultat, même si cette position a été acquise par mimétisme. C'est un paradoxe qui en dit long sur le niveau de conscience des gouvernants.... Prenons l'exemple du cinéma : d'un coté, on va proclamer défendre la production nationale et donc valoriser ses caractéristiques cinématographiques et culturelles propres. Mais par ailleurs, on va copier le cinéma hollywoodien (ce qui revient souvent à négliger les valeurs cinématographiques nationales) de façon à, soit disant, gagner des parts de marché....  Ce qui revient a reprendre d'une main ce que donne l'autre main....

Les gouvernements me paraissent empêtrés dans cette contradiction qui les conduit souvent à prendre des décisions incohérentes et inefficaces. La question des langues est, encore une fois, un exemple éclairant. La plupart des pays se disent favorables à la défense de la diversité linguistique dans le monde. Ils ont même presque tous (à l'exception des Etats-unis d'Amériques et d'Israël) signés la Convention de l'Unesco en faveur de la diversité culturelle. Ils sont tous officiellement, au moins, d'ardents défenseurs de leur(s) langue(s) nationale(s). Pourtant, ces mêmes gouvernements conduisent des politiques linguistiques qui visent toutes à favoriser le seul apprentissage de la langue anglaise. Or, il est bien connu aujourd'hui que, si l'anglais devient la langue majoritaire dans le monde, alors elle effacera progressivement toutes les autres langues. Ce phénomène de "bilinguisme asymétrique" est déjà observable et s'est toujours montré défavorable à la langue minoritaire. Ces mêmes gouvernements se préoccupent peu ou pas de valoriser les politiques linguistiques favorables au maintient d'un certain niveau de diversité et pourtant elles existent (voir par exemple : "Un modèle probabiliste pour la diversité linguistique : le cas de la romanité dialogale" dans "L'intercompréhension et les nouveaux défis pour les langues romanes", A paraître aux Editions "Union Latine" et "Agence Universitaire de la Francophonie", 2011).
Il en va de même dans bien des domaines : construction européenne, économie, politiques de gestion des migrations internationales ….

Comment sortir de cette impasse ?
La gouvernance mondiale, tant désirée par de nombreuses personnes, ne pourra se réaliser sans une certaine harmonisation des législations nationales de façon à éviter les incohérences et les contradictions. Il sera nécessaire de s'appuyer sur une forte volonté politique des Etats et gouvernements. Mais celle-ci ne peut être atteinte sans une mobilisation des citoyens du monde en faveur de cette harmonisation. Tant que les peuples resteront sensibles aux thèses nationalistes mises en avant par des responsables inconscients ou malveillants, il sera difficile voire impossible de progresser. Les populations doivent faire pression sur leurs dirigeants pour que cette planète soit enfin perçue par tous comme une seule entité dont nous sommes tous responsables. On ne pourra installer une gouvernance mondiale que lorsque nous cesserons de brandir nos drapeaux nationaux pour affirmer notre qualité de citoyens du monde...

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